dimanche 5 août 2012

Ghana : Une anomalie démocratique

Ci-dessous la traduction de mon dernier éditorial publié par Al Jazeera English sur les raisons qui peuvent expliquer l'absence de drame politique et la succession constitutionnelle en douceur qui ont suivi la mort du président ghanéen Atta Mills le 24 Juillet 2012.
 

Tumi te se kosua, woso mu den a epae;
Na woanso mu yie nso a,
Efiri won sa bo famu ma epae.

Le pouvoir est fragile comme un œuf ;
Quand on le tient trop fermement, il casse.
Quand on le tient trop mollement, il tombe.
Proverbe Akan 

Coupures de Cedi - image postée par yawowusu.blogspot.co.uk


Dans la deuxième moitié du XVIIème siècle, alors que régnaient sur l’Europe des monarchies absolues de droit divin comme celle du français Louis XIV,  Notsé, une Cité-État  vieille de plus de 3 siècles  située dans l’actuel Togo s’effondrait à la suite d’une guerre interne qui selon l'histoire  donna naissance à la dispersion du Peuple Ewé à l’Ouest du fleuve Volta vers l’actuel  Ghana.  La chute de la cité est attribuée au comportement politique de Son  Roi d’alors, Togbè Agokoli, qui devenu despotique et tyrannique,  avait décidé de violer  les institutions politiques de nature démocratique de sa cité dont l’organisation était réglée notamment par le mode électif. Certaines nations qui peuplèrent la partie occidentale du golfe de Guinée  connurent des institutions politiques de nature démocratique.

Si la mort du Président Ghanéen Atta Mills le 24 juillet dernier n’a généré aucun drame politique comme il est parfois de triste coutume dans l’Afrique contemporaine,  c’est peut-être aussi parce qu’à la différence de ses proches voisins du Golfe,  le pays consolide sa démocratie et ses institutions politiques  après son indépendance acquise en 1957 en ne les départissant pas complètement d’ habitudes et de coutumes institutionnelles pluri-séculaires.

Le résultat de la dernière élection présidentielle en 2008 rappelait pourtant celui de Bush Al Gore, en donnant au gagnant Atta-Mills une victoire de 50.23% contre 49,77 % à Nana Akufo-Addo.  Aucune tragédie particulière ne fut relevée, le résultat fut accepté par le perdant, et l’organisation de cette élection est même devenue un cas d’école à l’adresse d’autres gouvernements africains.  La prochaine élection ghanéenne du 7 décembre prochain sera la cinquième depuis 1992, dont la transparence et les conditions d’organisation en auront fait quasiment les moins contestées de tout le continent. Depuis cette date le Ghana aura connu deux alternances politiques, la présidence du président décédé Atta Mills ayant été saluée comme étant celle de la consolidation des acquis démocratiques ghanéens.

Equilibre entre institutions traditionnelles et Etatisation moderne

La survivance et la constitutionnalisation  des conseils traditionnels dans l’espace judiciaire ghanéen a permis une meilleure gestion des conflits fonciers, plus performante que celle enregistrée sur la même question par « la statutory justice »  Ghanéenne. Il faut rappeler que les conflits qui portent sur la terre sont parmi les premières causes des querelles ethniques et de polarisation des identités ethniques en Afrique sub-saharienne, comme l’expérimente depuis plus d’une décennie le voisin ivoirien du Ghana.   

La réaction apathique mais non jubilatoire du peuple d’Accra après le coup d’État militaire qui déposa le premier dirigeant et héros de l’indépendance du pays Kwame Nkrumah en 1966 doit peut-être aussi son explication à la limitation excessive qu’il opéra dans les prérogatives des chefs traditionnels : le Chieftancy act de 1961 qui réduisit leurs pouvoirs à leur plus faible expression fut un point d’orgue d’un mouvement entamé dès 1957 .  Surnommé « Osagyefo », un mot en langue twi qui signifie Rédempteur, Nkrumah fut aussi un des pères du panafricanisme.  Dans un élan de centralisation excessive des pouvoirs, il estimait que la conservation politique des autorités traditionnelles  était un frein à l’unification d’entités politiques Étatiques africaines.

A l’évidence à côté de cet  équilibre entre institutions traditionnelles et modernes,  d’autres facteurs politiques et historiques ont fait du Ghana un État d’afrique sub-saharienne dont la performance démocratique est saluée.

Des symboles identitaires forts

Parmi les autres causes historiques qui ont conféré au pays ce label de quasi ovni politique dans le Golfe de Guinée, alors que sa trajectoire politique du dernier demi-siècle ressemble sous quelques traits à celle de ses voisins, il y a les symboles.  Ces derniers ancrent l’identité, l’éveil ainsi que la conscience politique des nations et des peuples. Les enfants ghanéens, contrairement à ceux de la quasi totalité des pays francophones voisins du Golfe,  ont besoin de peu pour connaître l’histoire tragique de l’indépendance de leur pays de l’espace colonial britannique. Sur la plupart des coupures de  la monnaie nationale, posent les Big Six, emprisonnés après les émeutes qui donnèrent le coup d’envoi à la lutte pour l’indépendance que l’histoire nationale tient pour principaux héros de celle-ci.

A titre de comparaison, Le Cedi, contrairement au Franc Cfa, est une monnaie dont la souveraineté est détenue pleinement par le pays. Son taux directeur est fixé par la banque centrale Ghanéenne, et non à 7000 km comme c’est le cas pour le Franc Cfa de 14 autres pays situés dans la partie occidentale et centrale de l’Afrique, dont les billets sont toujours imprimés à Chamaillères, un village quasiment inconnu de ceux qui utilisent cette monnaie, perdu au centre de la France.   Peu de travaux existent sur la question, mais l’appropriation  du symbole des échanges fut peut-être une des raisons  pour laquelle le Ghana fut le meilleur élève des programmes de désendettement des institutions internationales au tournant des années 1980.

En sortant de leurs classes dans les Rues d’Accra, les jeunes enfants intègrent aussi cette histoire nationale en contemplant les monuments et les noms de boulevard dédiés à ces illustres anciens. Les Big Six, parmi lesquels deux anciens présidents et deux ministres des affaires étrangères sont tous passés par la case Prison. Dans les années cinquante et à l’aube des années soixante, la plupart reçurent le surnom de PG « Prison Graduate », ils savent contrairement aux enfants ivoiriens ou togolais par exemple, que l’indépendance ne fut pas une concession des anciens colons, mais obtenue de haute lutte, et donc que leur avenir leur appartient un peu plus.

Institutionnalisation de contre-pouvoirs forts

En tentant de répondre à un appel d’offres de la banque mondiale, dont l’objet portait sur la mise en place d’une plateforme numérique qui permettrait aux citoyens de surveiller l’utilisation de la manne générée par les industries extractives, j’ai pu observer la vitalité de la société civile ghanéenne et ses méthodes d’organisation, qui la mettent à part des autres sociétés civiles appartenant aux États pétroliers du golfe de Guinée.  De nombreuses organisations de sauvegarde des droits sociaux des citoyens redoutées pour leur expertise dans le domaine du gaz et du pétrole se sont ainsi constituées depuis le milieu des années 2000.  Elles veillent à ce que le gouvernement implémente et exécute des lois qui contribueront à mieux faire profiter de la manne pétrolière au peuple ghanéen, tordant ainsi le cou aux oracles des pessimistes qui font rimer pétrole et malheur en Afrique. La Constitution de la Quatrième République, adoptée en 1992, a transformé l’environnement politique ghanéen en permettant aux organisations de la société civile d’avoir des moyens pour leurs actions  et d’influencer durablement les politiques mises en place par leur gouvernement.  

Le mode d’adoption de cette loi fondamentale fut également singulier. Des 43 pays qui se sont engagés dans un processus de libéralisation démocratique au début des années 1990, seule une infime poignée, dont le Ghana, adopta une constitution qui reçut l’onction du peuple par référendum direct : le peuple ghanéen adopta favorablement sa loi fondamentale à plus 92% de voix favorables. Cette Loi établit des garanties d’indépendance à la justice, aux médias et aux corps intermédiaires qui permirent d’encadrer l’influence des logiques néo-patrimoniales  dans l’espace politique et ainsi de faciliter le processus de transition.

Neo-patrimonialisme et mise en oeuvre de la Constitution

Le Ghana n’échappait pas au néo-patrimonialisme à l’orée de la vague des libéralisations politiques des années 1990. Ce système est encore majoritaire dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne. Il se caractérise notamment par la non distinction entre les biens publics et les biens privés et induit des systèmes de clientélisme politique dans lesquels généralement un « big man » et une oligarchie vont  s’approprier la réalité du pouvoir économique national et ainsi se constituer des prébendes que même une élection transparente aura du mal à limiter.  La mise en œuvre de contre pouvoirs forts garantis par une Constitution contractualisée par l’assentiment libre et éclairé d’une majorité des citoyens semble avoir permis au Ghana de passer avec succès la phase de transition vers celle de la consolidation de son État de droit démocratique.

L’autoritarisme n’est donc pas une fatalité en Afrique sub-saharienne, et les principes universalistes qui permettent la participation politique de tous et le respect des droits ne nécessitent pas une acclimatation tropicale. Le Ghana est là pour le prouver. Une constitution, même la mieux rédigée qui soit, ne suffit pas non plus. Il faut aussi qu’elle soit exécutée. En observant l’état politique ghanéen je pense à d’autres pays d’Afrique sub-saharienne et en particulier au mien, le Cameroun.  Dans l’hypothèse de vacance du pouvoir, nous nous retrouverions dans une belle galère politique: la constitution actuelle prévoit qu’en cas de vacance du président de la République, le président du Sénat assure l’intérim jusqu’à l’organisation d’une nouvelle élection et la prise de fonction du nouveau président. Nous avons un problème que n’expérimente pas le Ghana :  Le Sénat existe dans la constitution, son fonctionnement est même réglé par des lois organiques, mais vous ne trouverez pas de bâtiment au Cameroun où ce dernier se réunit habituellement, parce que ni lui, ni aucun sénateur d’ailleurs, n’existent en réalité.

On voit une fois de plus que ce ne sont pas les élections qui font une démocratie, ni ne construisent une nation libérale ; mais un continuum historico-politique. Lorsque les lois fondamentales sont le reflet de traditions démocratiques ou participatives anciennes, elles garantissent de meilleures institutions, acceptées du plus grand nombre.